Après l'antichambre du Paradis, on entre au Paradis
Départ pour Aledjo le dimanche matin messe de 8 heures à la paroisse des Frères de Saint Jean ouïe, où nous retrouvons toute la liturgie teintée d’Afrique que nous aimons, depuis notre séjour Gabonais d’il y a quatre ans. Il ne faut pas traîner car les 400 kilomètres de la route prendront le même temps dont le soleil a besoin pour toucher le bout de son orbe visible, c’est-à-dire sept heures. Nous arpentons la N1 qui va du sud au nord à égale distance quarante kilomètres du Bénin et du Ghana. Laissant à droite le Lac Togo, nous rallions successivement Notsé capitale de l’ananas, Atakpamé, ville de l'industrie cotonniière, étape déjeuner et ancienne métropole allemande commerçante et fondatrice de la colonie togolaise, puis Sokodé, cité citée dans vos journaux ces jours-ci (soyez attentif, enfin quoi ?) pour des événements récents qui ont laissé plusieurs bâtiments noircis le long de la Nationale, puis on voit apparaître les Alpilles du Togo, avec la faille d’Aledjo, dont la route est interdite (si je sais un jour pourquoi, je vous l’écrirai). Et ça y est nous y voilà, au-dessus, au sommet d’une douce montée sur la colline, prendre à gauche en plein dans le virage, sur la piste non indiquée, et c’est la porte du Foyer, discrète dans le crépuscule, la grille. Puis, nos hôtes pour six mois nous entourent. Ils avaient suivi heure par heure notre progression au téléphone, et guettaient.
Lundi 6 novembre
Les tamtams nous ont réveillé ce matin, mais nous ne savions pas que c’était pour nous, ou à tout le moins en l’honneur du Foyer.
C’est que le village au bout de la piste, dont nous entendons bêler les chèvres et chanter les cigales est heureux de la réouverture du Foyer une nouvelle et cinquante-quatrième fois depuis sa fondation qui a été importante pour le développement d’Aledjo, par son rayonnement chrétien, et son accueil des malades délaissés d’abord. Accessoirement par son puits d’eau à 80 mètres de profondeur, et sa turbine à électricité au bas de la conduite forcée conçue et réalisée par le premier père du Foyer, le père Marcel, il y a un demi-siècle.
Pendant le petit déjeuner du matin, une cohorte bigarrée avance précédée de la musique et d’un représentant du maire avec sa machette, le chef du village et le chef de quartier. C’est pour aider la centaine de femmes qui sont venues au balayage et ramassage des feuilles mortes de manguier et d’eucalyptus, qui ne pourrissent jamais, et pourraient propager les feux d’écobuage. (Ici on parle plutôt de feux de brousse.)
D’abord une belle cérémonie de salutations, avec inclinations des têtes et des bustes, et paroles protocolaires de circonstance. Puis, la joyeuse compagnie se dissémine le long des allées. Bientôt le ton des conversations monte, puis toute cette foule d’une centaine de personnes, surtout des femmes et quelques jeunes enfants enturbannés dans le dos de leur mère, se rassemble devant Notre Dame des Foyers, entre la petite grotte digne de Lourdes, et la stèle érigée à la mémoire du Père fondateur, qui a quitté son Foyer, le troisième Foyer de Charité fondé par Marthe Robin, et premier en Afrique.
Petit discours en kotokoli (pour ce mot, recherche sur Internet numéro 1, je ne vais quand même pas tout vous écrire) par les membres du Foyer. Puis réponse en forme de ban par une mélopée associée aux claquements de main.
Alors prend gravement la parole le chef du village. Même en kotokoli, nous comprenons qu’il exhorte les femmes à inspirer la paix dans le cœur de leur mari, c’est à dire leur suggérer de ne pas faire de bêtise. En ce temps de manifestation anti-pouvoir, en effet, les esprits ne sont pas calmes, et une nouvelle vague d’action est programmée cette semaine. Les femmes opinent de la tête et murmurent un assentiment sourd à l’unisson à cette exhortation. Le rassemblement à l’occasion de la visite au Foyer s’est transformé en un appel à la population d’Aledjo à garder son calme.
Une grande cuvette de jus de fruit désaltère la centaine de gosiers desséchés. Une prière commune unit les poitrines des musulmanes et des chrétiennes pour monter vers la Sainte Vierge. C’est le cœur du village d’Aledjo qui bat alors, et c’est au cœur du Foyer de Charité. Marthe Robin n’en finit pas de faire couler les grâces sur ceux qui s’approchent d’elle.
Ci-contre, Miré arrive à la terrasse de sa case aux bougainvillées.